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Pourquoi les végans ont tout faux

Par Paul Ariès, politologue , Frédéric Denhez, journaliste,

chroniqueur («CO2 mon amour» sur France Inter) et Jocelyne

Porcher, sociologue, directrice de recherches à l’Inra — 18

mars 2018 à 19:06 (mis à jour à 19:37)

Ils prônent une rupture totale avec le monde animal,

alors que manger de la viande a toujours fait partie de

l’histoire humaine, un moment essentiel de partage.

Cette relation doit reposer sur un élevage raisonné et

bio, respectueux des sols et des terroirs. La meilleure

façon d’échapper à l’alimentation industrielle.

Pourquoi les végans ont tout faux

Ils sont peu nombreux, mais ils ont une audience

impressionnante. Comme ce qu’ils disent semble

frappé au coin du bon sens, celui de l’émotionnel et

d’une morale binaire, le bien, le mal, c’est que ça doit

être vrai. D’où le succès de la propagande végane,

version politique et extrémiste de l’abolitionnisme de

l’élevage et de la viande, que l’on mesure simplement :

aujourd’hui, les opinions contraires, pourtant

majoritaires, doivent se justifier par rapport à elle.

Nous dénonçons d’autant plus le mauvais coup que

porte le véganisme à notre mode de vie, à l’agriculture,

à nos relations aux animaux et même aux courants

végétariens traditionnels, que nous sommes

convaincus de la nécessité d’en finir au plus vite avec

les conditions imposées par les systèmes industriels et

d’aller vers une alimentation relocalisée, préservant la

biodiversité et le paysan, moins carnée, aussi.

L’Occident et les riches des pays du Sud consomment

trop de viandes, et surtout de la mauvaise viande. Au

Nord comme au Sud, les systèmes industriels ont

changé l’animal en machine à transformer la cellulose

des plantes en protéines bon marché pour le plus

grand profit des multinationales et au détriment des

paysans, des consommateurs, des sols, de l’eau et des

animaux. Le bilan sanitaire et écologique de ces

rapports de travail indignes aux animaux est tout aussi

mauvais que celui du reste de l’agriculture

productiviste : on empoisonne les consommateurs

avec de la mauvaise viande, de mauvais légumes et

fruits, en dégradant l’environnement et la condition

paysanne. Ceci étant dit, regardons un peu les

arguments avancés par les végans.

Les végans vont sauver les animaux

Depuis douze mille ans, nous travaillons et vivons avec

des animaux parce que nous avons des intérêts

respectifs à vivre ensemble plutôt que séparés. Les

animaux domestiques ne sont plus, et depuis

longtemps, des animaux «naturels». Ils sont partie

prenante du monde humain autant que de leur propre

monde. Et, grâce au travail que nous réalisons

ensemble, ils ont acquis une seconde nature qui fait

qu’ils nous comprennent, bien mieux sans doute que

nous les comprenons. Ainsi est-il probable qu’ils ne

demandent pas à être «libérés». Ils ne demandent pas

à retourner à la sauvagerie. Ils ne demandent pas à

être stérilisés afin de peu à peu disparaître, ainsi que le

réclament certains végans. Ils demandent à vivre avec

nous, et nous avec eux, ils demandent à vivre une

existence intéressante, intelligente et digne.

Le véganisme va nous sauver de la famine

Jusqu’à il y a peu, rappelons-le, les hommes et les

femmes mouraient vite de trois causes possibles : les

maladies infectieuses, la guerre et la faim. Or, depuis

la fin du XVIIIe siècle, dans nos pays européens, et

depuis les années 60 dans l’ensemble du monde, il

n’existe plus de famines liées à un manque de

ressources. Quel progrès ! Les famines qui adviennent

sont des armes politiques. Quand des gens meurent de

faim quelque part, c’est parce que d’autres l’ont décidé.

On ne voit pas en quoi le véganisme changerait quoi

que ce soit à cette réalité.

Le véganisme va sauver l ’agriculture

Ce serait même exactement l’inverse. Si les famines

ont disparu de notre sol, c’est parce que le

XVIIIe siècle a connu la plus grande révolution

agricole après celle de son invention : l’agronomie. Et

la polyculture-élevage, pourvoyeuse de ce qui se fait de

mieux pour nourrir un sol, le fumier. Une des

meilleures idées que l’homme ait jamais eue. Quant à

l’industrialisation de l’élevage, elle n’est pas née après

la Seconde Guerre mondiale avec le productivisme

agricole. Elle a été pensée bien en amont, au milieu

du XIXe siècle avec le développement du capitalisme

industriel. Les animaux sont alors devenus des

machines dont la seule utilité est de générer des

profits, aux dépens des paysans et de l’environnement.

Le véganisme va sauver notre alimentation

Le véganisme propose de se passer des animaux, pour

les sauver. Retour à la case départ : l’agriculture sans

élevage, c’est l’agriculture famineuse parce qu’elle

épuise les sols. Ce sont des rendements ridicules pour

un travail de forçat car le compost de légumes est bien

moins efficace pour faire pousser des légumes que le

fumier animal. A moins de forcer le sol par de la

chimie, évidemment. Et de labourer bien

profondément. Mais, dans ce cas, on abîme les sols, en

désorganisant l’écosystème qu’il est en réalité.

Le véganisme sauvera notre santé

Tuer l’animal, c’est mal, manger de la viande, c’est

destructeur. Car les études montrent que la

consommation de viandes est corrélée au cancer. Sauf

que ces études ont été principalement menées aux

Etats-Unis et en Chine, où l’on consomme bien plus de

viande, encore plus gavée d’hormones et

d’antibiotiques, encore plus transformée. Quant aux

études démontrant la longévité supérieure des

végétariens qui - rappelons-le - consomment des

produits animaux, lait et oeufs, et dépendent donc de

l’élevage, elles sont biaisées par le constat que ces

publics consomment aussi très peu de produits

transformés, peu de sucres, ils font du sport, boivent

peu, ils ont une bonne assurance sociale, etc. Quelle

est la responsabilité des légumes dans leur bonne

santé ? Difficile à dire ! Ce qui importe, c’est le régime

alimentaire et le mode de vie équilibrés. En

comparaison, manger végan, l’absolu des régimes

«sans», c’est se condamner à ingurgiter beaucoup de

produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de

molécules pour mimer ce qu’on a supprimé. Sans

omettre d’ajouter la précieuse vitamine B12 à son

alimentation. Car sans elle, comme le montrent de

nombreux témoignages d’ex-végans, ce régime ultrasans

détruit irrémédiablement la santé, à commencer

par celle de l’esprit.

Le véganisme va sauver l ’écologie

Avec ce retour au naturel, l’écologie est sauvée. Et bien

non. Car ayant expulsé les animaux domestiques,

il n’y a plus rien pour maintenir les paysages ouverts,

ceux des prairies, des zones humides, des montagnes

et des bocages. Sauf à obliger chômeurs, prisonniers et

clochards à faucher et à couper les herbes, ou à

produire des robots brouteurs. Les vaches et moutons

sont les garants de l’extraordinaire diversité paysagère

qui fait la France, qui est aussi celle de notre assiette.

Les animaux et leurs éleveurs sont les premiers

aménageurs du territoire.

Le véganisme est une position politique

émancipatrice

Non, contrairement à ce que croient de nombreux

jeunes, fiers de dire «je suis végan», comme s’ils

participaient à une action révolutionnaire, ou si leurs

actions contre les abattoirs ou les paysans vendant

leurs fromages sur les marchés relevaient de la

résistance à l’ordre établi, le véganisme ne participe

pas à l’émancipation des animaux et encore moins à

celle des humains. Au contraire, en défendant une

agriculture sans élevage et un monde sans animaux

domestiques, c’est-à-dire sans vaches, ni chevaux, ni

chiens, ce mouvement nous met encore plus dans les

serres des multinationales et accroît notre dépendance

alimentaire et notre aliénation. Les théoriciens et

militants végans ne sont pas des révolutionnaires, ils

sont, au contraire, clairement les idiots utiles du

capitalisme.

Le véganisme est l ’ambassadeur de l’industrie 4.0

Le grand danger de ce début du XXIe siècle est bien

l’invention d’une agriculture sans élevage. On ne

compte plus les investissements et brevets déposés

pour produire de la «viande» en cultivant en

laboratoire des cellules musculaires de poulet, de boeuf

ou de porc ou produire du lait et des oeufs à partir de

levures OGM. Les promoteurs de cette agriculture

cellulaire se recrutent au sein des grandes firmes

(Gafa, milliardaires et fonds d’investissements

puissants). Les premières viandes artificielles

pourraient être introduites sur le marché sous forme

de carpaccio avant que soient commercialisés avant

dix ans de «vrais-faux» morceaux produits in vitro.

Des amas de protéines qui auront poussé à grands jets

d’hormones pour favoriser la croissance et

d’antibiotiques pour éviter les contaminations.

En vérité, le véganisme ne va pas nous sauver

Le véganisme est dangereux. Il participe à la rupture

programmée de nos liens avec les animaux

domestiques. Il menace de nous condamner à la

disette en nous ramenant à l’agriculture prédatrice des

temps anciens. Il menace de ruiner les pratiques

alternatives, comme le bio, en annihilant la

polyculture-élevage qui est son fondement. Il menace

de nous condamner à dépendre d’une alimentation

industrielle 4.0. Il menace d’uniformiser nos paysages.

Il menace paradoxalement de nous faire perdre notre

humanité incarnée et notre animalité en nous coupant

des réalités naturelles par des zoos virtuels, des

paysages transformés en sanctuaires, avec des chiens

et chats remplacés par des robots. Le véganisme est

l’allié objectif d’une menace plus grande encore. Car,

après tout, la meilleure façon de ne plus abîmer la

nature est de s’en couper totalement. De s’enfermer

dans des villes, alimentées par des flux de molécules et

des flux de données. Plus de sale, plus de propre, que

de l’esprit sain tourné vers une morale ultime,

l’amélioration de l’homme par son isolement total de

la nature que l’on ne peut maîtriser et qui nous renvoie

sans cesse à notre animalité. Oui, véganisme rime avec

transhumanisme.

Un monde terrifiant. La consommation de la viande a

introduit, dès la préhistoire, l’obligation du partage,

l’invention de la logique du don et du contre-don car

un chasseur ne consomme jamais son propre gibier.

Don et contre-don sont aussi au fondement de nos

rapports sociaux avec les animaux. Donner - recevoir -

rendre est le triptyque de nos liens. Que sera

l’humanité sans cet échange fondamental ?

Paul Ariès auteur de : Une histoire politique de

l 'alimentation du Paléol ithique à nos jours, Max Mi lo,

2017. Frédéric Denhez auteur de : le Bio, au risque

de se perdre, Buchet-Chastel, 2018.

Jocelyne Porcher auteure de : Encore carnivores

demain ? Quae, 2017 (avec Olivier Néron de Surgy).

Paul Ariès politologue , Frédéric Denhez journaliste,

chroniqueur («CO2 mon amour» sur France Inter) , Jocelyne

Porcher sociologue, directrice de recherches à l’Inra


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